Une époque merveilleuse

Plutôt que d’imaginer que l’intelligence artificielle va forcément engendrer notre perte, utilisons-la pour imaginer un avenir meilleur. Un livre pour enfants écrit en 1957 avait pour titre « Time of Wonder » : une époque merveilleuse. Il racontait les vacances d’une famille sur une île. Le soleil, le calme de la nuit puis, d’un coup, le fracas, la tempête et la détresse… L’humanité sur notre Terre insulaire vit des instants comparables. Notre époque est merveilleuse. Pourtant, comme les enfants du livre, éblouis et terrifiés par le voyage que nous avons initié, nous rêvons, figés, les yeux grands ouverts. Nous restons impuissants, parce que nous nous laissons dérober nos imaginaires par de bruyants oracles. Ils nous paralysent en restant prisonniers de leurs vieux récits de science-fiction dystopiques et nous empêchent d’imaginer de nouvelles utopies. Ne prenons qu’une technologie pour exemple : l’avènement d’une « super intelligence artificielle » marquerait notre ultime défaite face à la machine ! Jamais ces mêmes oracles n’interrogent la possibilité d’une autre voie… Car cette même intelligence pourrait nous libérer des tâches les plus avilissantes plutôt que de nous asservir. Elle pourrait nous rendre le temps aujourd’hui perdu à réaliser ce pour quoi nous ne sommes pas efficaces. Elle pourrait aussi nous aider à imaginer des mondes meilleurs. Cette imagination artificielle existe déjà aujourd’hui dans une forme embryonnaire. On l’appelle « design génératif », et elle sert dans les laboratoires à déterminer la forme idéale d’une aile d’avion ou d’une chaussure, à simuler leurs propriétés, leurs avantages et leurs défauts. Demain, elle pourrait servir aussi à imaginer les solutions de transport et d’alimentation énergétique de nos villes, et pourquoi pas à créer nos médicaments ou nos programmes éducatifs ? À l’opposé des Poutine, Musk ou Hawking, attachons-nous à voir en l’IA une arme de construction massive. Et elle n’est pas la seule… La blockchain, les biotechnologies, les neuro-technologies ont cette même propriété créatrice. Notre responsabilité n’est pas seulement de réinventer l’école pour que nos enfants soient prêts. Elle est aussi de chercher la complémentarité entre l’humain et la machine, plutôt que de la craindre et de tenter de la freiner. À retrouver du sens en tout acte, à créer, expérimenter, implémenter les scénarios qui servent d’abord le bien commun. En somme, à être les vrais héros de notre merveilleuse époque.

 

Publié dans les Echos le 12/12/17 : https://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/0301005513425-une-epoque-merveilleuse-2137732.php