Comment l'information remodèle notre cerveau ?

 

Transcription automatique du podcast TRENDSPOTTING enregistré avec Benoit Raphael à la sortie de son livre : “Information, l’indigestion”.

Comment vous vous informez? Combien de temps vous passez sur les réseaux sociaux ou à regarder les chaînes de news ou à lire la presse chaque jour? Quelle relation vous avez avec l'information? Est-ce que vous pensez que cette habitude de s'informer au quotidien est positive ou est-ce que vous ressentez, j'allais dire aussi, une anxiété qui monte sans cesse? Aujourd'hui je vous propose qu'on fasse le point sur votre rapport, sur notre rapport collectif à l'information avec un expert des médias. Il est journaliste, il est entrepreneur, il est spécialiste des médias, fondateur et CEO d'une start-up qui s'appelle Flint, qui propose des solutions qui permettent de sortir de cette bulle des réseaux sociaux, de ces bulles algorithmiques dont on parle depuis quelques années déjà. Et il le fait grâce à l'intelligence artificielle. Il est l'auteur d'un livre qui est à paraître à partir du 20 avril 2023 chez Eyrolles et dont le titre est « Information : l'indigestion ».

Bonjour Benoît Raphaël.

Bonjour Michel.

On se connaît depuis une quinzaine d'années, tu as eu l'occasion d'intervenir en 2017 à l'échappée volée, notamment à propos de l'usage de l'intelligence artificielle dans la production de l'information. Aux auditeurs d'ailleurs, je vous invite à regarder son talk, il est en ligne, je le mettrai dans la description du podcast. Benoît, on vit une période de chaos informationnel. Les informations fusent de tous les côtés, elles sont vraies, elles sont fausses, elles nous stressent, elles nous hypnotisent sur tous les supports, les chaînes d'information, les réseaux sociaux, la presse, demain peut-être même les médias qui vont être produits par l'intelligence artificielle. On voit les effets de ce chaos sur la société, mais dans ton livre, tu parles plus spécifiquement de l'influence de ce trop plein d'informations sur le moral des populations. Est-ce qu'il faut vraiment s'inquiéter?

Moi, je suis plutôt un grand optimiste, donc j'ai tendance à avoir du mal à m'inquiéter. Je fais partie des personnes qui pensent un petit peu à l'image de Joël Doroné qui a écrit un livre sur le surf. Et moi, comme j'ai passé un an à Bali, je me suis mis au surf et ça m'a fait pas mal réfléchir parce que lui, il parle, il oppose au principe de précaution, le principe d'attrition, c'est-à-dire qu'il dit en fait plutôt que d'avoir peur et de se prémunir de tout, de faire des moratoires un petit peu sur tout, et bien c'est d'analyser les risques, de les accepter. Donc être optimiste, c'est pas forcément refuser les risques, mais c'est faire avec et avancer. Il parle beaucoup d'homéostasie, c'est-à-dire que quand c'est un énorme mouvement, quand on est en surf, on ne peut pas maîtriser la vague et puis l'océan, il est hyper violent, donc il est complètement imprévisible. Moi, mes profs de surf me disaient de toute façon, tu peux juste réessayer, quoi. Et on ne peut pas tout prévoir. L'homéostasie, c'est de rester en fait stable dans le mouvement et donc de continuer à, et quand je dis ça, c'est stable dans sa tête, stable aussi dans nos valeurs, dans ce qu'on veut faire aussi avec l'humanité, avec notre propre vie. Donc je suis un optimiste, mais qui accepte d'analyser les risques. Et pour bien les analyser, pour ne pas être biaisé par nos peurs, parce que souvent c'est bon sens commun de dire que la peur est mauvaise conseillère, mais je pense que c'est assez précis, c'est assez important, surtout en ce moment, de se dire ça crée des biais chez nous. Donc c'est important de garder l'esprit clair.

Tu décris pourtant dans ton livre cette fatigue, ce stress, tu décris ce stress dans le monde moderne, tu décris le rôle de la technologie dans cette fatigue et dans ce stress. Tu nous rappelles d'ailleurs que la technologie a pendant longtemps été un moyen de réduire la fatigue physique, mais que depuis l'émergence d'Internet, eh bien on voit plutôt un phénomène inverse, c'est-à-dire qu'on voit que la technologie nous fatigue plutôt psychologiquement, cognitivement, jusqu'à peut-être mettre en péril notre santé mentale. Qu'est-ce qui s'est passé?

Oui, la technologie a toujours été là pour nous faire gagner du temps. Donc globalement, c'est ce qu'explique d'ailleurs Gérald Bronner dans l'Apocalypse Cognitive, elle nous a fait gagner du temps de cerveau, énormément de temps de cerveau, puisqu'on a plus de loisirs, la machine nous aide à faire les choses plus vite, donc nous a fait quand même gagner du temps. Donc on ne peut pas dire qu'on a moins de temps qu'avant, globalement on en a beaucoup plus, mais ce temps à quoi on l'occupe, et c'est vrai qu'il est un peu occupé, envahi, occupation au sens d'envahisseur quelque part, par le temps d'écran. Alors sachant que le temps d'écran, ce n'est pas l'écran qui nous envahit, c'est nous qui allons vers l'écran, puis c'est nous aussi qui, avec les notifications qu'on envoie sur les réseaux sociaux à nos amis, qui poussons les autres à y aller. Donc il faut aussi bien avoir ce sens des responsabilités. Mais cette fatigue, cette impression que tout va trop vite, qu'il y a trop d'informations, qu'on a de moins en moins de temps, que la technologie, même si elle nous fait gagner du temps, en fait, nous stresse, plutôt presque que nous fatigue, cette notion de fatigue, elle a traversé l'histoire et elle a pris plusieurs visages. Au départ, c'était une fatigue physique, même si on commençait déjà à entendre parler de fatigue morale. C'est René Descartes qui, déjà dans une lettre envoyée, je ne sais plus à quel compte est-ce, j'ai la référence dans le livre, disait qu'il était fatigué. Alors lui, il ne faisait pas beaucoup de sport, mais par contre, le fait de penser le fatigué déjà, je pense que ce qui s'est développé au fur et à mesure, c'est qu'on a eu cette fatigue physique apportée un peu aussi en partie par la technologie, c'est transformé en fatigue psychologique, mais ça va aussi quelque part avec le développement de la psychologie. On a commencé à avoir plus de temps pour réfléchir, donc du coup à s'interroger sur nous-mêmes et du coup à réaliser aussi qu'on est fatigué. Donc on est fatigué d'être fatigué, fatigué de se voir fatigué. Donc c'est prendre le recul de l'histoire, ça nous permet de relativiser un petit peu tout ça, autant sur la fatigue que sur le stress. L'homme le plus stressé était peut-être l'homme des cavernes, si j'ose dire, puisqu'on a découvert dans la neige un de nos ancêtres, un des hommes préhistoriques, et les analyses qui ont été faites, alors pour mesurer le stress on analyse l'ongle, parce que plus on est stressé, plus on a des marques sur l'ongle, c'est pas bon à savoir, eh bien il était extrêmement stressé. Si on imagine qu'on est de plus en plus stressé, imaginez depuis la préhistoire on doit être méga stressé, astronomiquement stressé. Donc c'est pas vraiment le cas. Donc faut quand même bien relativiser les choses, on a toujours l'impression que c'était pire avant. On fatigue aussi avec l'âge, et souvent d'ailleurs les gens qui se disent stressés, fatigués sont parfois un peu plus âgés ou ont du mal à suivre le rythme de la technologie d'aujourd'hui. Donc je pense qu'il faut vraiment relativiser. Je pense que le point sur lequel j'essaie de mettre l'accent dans ce livre, c'est que la première chose dont il faut faire attention c'est la fatigue de notre cerveau, c'est prendre soin de notre cerveau. La fatigue en fait quelque part c'est pas forcément quelque chose de négatif, c'est notre corps qui nous dit que ça va trop vite. Donc c'est une invitation à prendre un peu de recul, et on a les moyens de le faire, parce qu'on peut pas dire aujourd'hui que internet nous fatigue, c'est pas vrai. C'est le fait d'aller sur internet qui nous fatigue. C'est collectivement nous nous obligeons à aller sur internet pour aller voir qui a liké notre profil, qui nous a envoyé un mail, qui nous a envoyé un texto. Donc il y a aussi une responsabilité collective. Donc je pense qu'il faut d'abord faire attention à pas trop avoir l'impression que c'était mieux avant. Et aujourd'hui, même s'il y a une accélération des contenus, quand on rentre dans le détail, on se rend compte que par exemple derrière, le plus d'informations, il n'y a pas forcément plus de meilleures informations, il y a plus de sollicitations. Derrière ces écrans qui nous envahissent, il y a aussi des questions sociétales, des questions psychologiques aussi qu'il faut prendre en compte. Et c'est la même chose avec l'impact des écrans sur le quotient intellectuel, l'impact des écrans sur la santé mentale. Les études en fait montrent des corrélations, mais parfois il y a des causes cachées qui peuvent être l'anxiété par rapport à l'environnement, qui peut être aussi la relation à nos parents, le fait que certains parents s'occupent moins de leurs enfants ou s'en détachent un peu parce qu'ils sont peut-être eux-mêmes sur l'écran aussi d'ailleurs. Donc on voit bien que ça va très vite et parce que ça va très vite, il faut prendre du recul. Et la première chose qu'il faut faire, c'est défatiguer notre cerveau parce que plus notre cerveau est fatigué, plus il se trompe.

Et donc c'est la première chose qu'il faut faire et pour ça, il suffit de faire un peu attention et peut-être il y a quelques méthodes qu'on peut appliquer pour faire. Oui, il y a des méthodes qu'on peut appliquer, peut-être que tu peux nous en décrire quelques unes, mais tu parles aussi des formes de journalisme positif, c'est-à-dire ce journalisme qui met en avant par exemple les solutions. On sait bien que malheureusement l'audience sur ces types de contenus n'est pas au rendez-vous, tout simplement parce que le cerveau ne prête pas attention à ces bonnes nouvelles. Notre cerveau est plutôt mobilisé par les mauvaises nouvelles, par ce qui excite notre anxiété finalement. Et aussi parce que les bonnes nouvelles, l'analyse nous demande plus d'efforts, plus de sollicitations, notamment du cortex frontal que finalement le réflexe qui est créé par les infos anxiogènes. On n'a pas trop besoin de faire d'efforts pour y aller. Donc face à ces deux phénomènes, d'abord l'effort personnel, les bonnes habitudes et d'un autre côté les business model des médias qui ont du mal finalement à se transformer vers d'autres formes de médias plus positifs, quelle solution on a en tant qu'individu lambda?

Alors c'est vrai qu'on est plus facilement, on réagit plus facilement à l'émotion, la formation émotionnelle c'est vrai puisque notre cerveau a été fabriqué quelque part pour réagir à la peur notamment, parce que le cerveau va capter des signaux et la peur va activer des signaux de menace et donc va nous permettre de nous mettre en sécurité. Donc nous sommes des êtres fragiles, il faut bien comprendre que l'être humain a peut-être dominé la planète, mais enfin globalement c'est parce qu'il est super fragile, donc il est super peureux, donc il est super prudent. Donc c'est vrai que tous les signaux qui vont lui indiquer que ça fait peur, ce que j'appelle le royaume des Oulala, c'est ceux qui ont le plus survécu sur la planète au niveau humanitaire, c'est pas une théorie scientifique ce que je dis sur les Oulala, mais globalement il y a une partie de la science, même si elle est controversée, qui est la science évolutionniste, qui dit qu'effectivement ce sont les plus peureux qui ont le plus survécu, donc qui sont plus nombreux sur Terre, mais il y a une part de vérité là-dedans mais qui s'explique très simplement. Donc une fois qu'on a compris ça, il faut encore une fois relativiser, alors je vais passer mon temps à nuancer, mais c'est ce que j'essaie de faire dans le livre en fait, pourquoi? Parce que le livre est aussi un manuel quelque part, qui en réfléchissant à ces problèmes là, nous permet de comprendre qu'il y a le pour et le contre. On n'a pas un cerveau qui ne réagit qu'à l'émotion, qui veut que faire l'amour, que manger tout ce qu'il trouve devant lui et se protéger, et puis ensuite il y a une autre partie du cerveau qui serait les coincés du cul, et qui globalement en fait, eux, réfléchiraient tout le temps, et ce serait trop compliqué, d'autant plus que quand on, les récentes recherches en neurosciences, notamment celle du neurologue Antonio Damasio, nous expliquent que l'intelligence n'existe pas sans émotion. Prends un exemple, tu es devant, lorsque l'on prend un, si on te coupe dans ton cerveau la partie qui concerne l'émotion, donc il y a des études, on n'a pas coupé chez les gens la partie qui concernait l'émotion, mais des gens qui avaient une lésion cérébrale par rapport à ça, et on leur demande de prendre une décision, alors ça peut être par exemple, choisir entre une pomme et une poire au supermarché. Eh bien la personne est incapable de prendre une décision, parce qu'elle va réfléchir à tous les conséquences, etc., et elle est vraiment dans l'impossibilité de faire un choix. Qu'est-ce qui fait qu'on fait le choix? C'est l'émotion. Le premier truc c'est qu'on a marre de trop réfléchir, c'est la première émotion qu'on a, et puis il y a une partie impulsion, mais quelque part, c'est un petit peu cette différence que tu vois aussi entre la science et la politique. La politique c'est quoi? C'est l'émotion. La science, elle te pose tous les éléments, les risques, là sur le réchauffement climatique par exemple, il y a tous les risques qui sont amenés par le dérèglement climatique, et puis après quelles décisions on va prendre, elles ne sont pas dictées par la science, sinon en fait on n'en finirait pas, parce qu'on aurait du mal à prendre toutes les décisions, les scientifiques ne s'avancent pas pour dire quelles sont les solutions, ils donnent un cadre. La politique c'est l'émotion, donc on a besoin d'émotion pour réfléchir, parce que dans des mondes complexes comme on l'est, on ne peut pas réfléchir correctement si on n'agit pas, parce que si tout se passe dans la tête, à la fin on ne trouve jamais la solution, parce que notre cerveau est absolument infini, donc il faut parfois agir pour se tromper, pour corriger, et quand on a compris que notre cerveau c'est une machine à faire des erreurs, et une machine à corriger, on comprend quel est le rôle de l'émotion, ce n'est pas juste cette vision morale qu'amène parfois Sébastien Boller dans le bug humain, que ce sera un bug humain, moi je pense que ce n'est pas un bug, je pense que c'est une fonction essentielle qui nous pousse à nous tromper, et qui nous fatigue quand on en fait trop. Donc il faut écouter son cerveau, et je pense que ça commence par ça, et je crois que les neurosciences sont la science du 21e siècle, avec l'intelligence artificielle aussi, mais en tout cas celle-là c'est celle qui va nous permettre de résister à la vague un peu chaotique qui est en train de nous tomber dessus.

Tu fais un parallèle entre l'obésité physique et l'obésité informationnelle dans ton livre, et à un moment donné tu parles de la vache qui rit, tu parles de cette manière qu'on a aussi appris finalement à bien se nourrir, pour certaines populations qui peuvent se le permettre d'ailleurs. Et on a vu apparaître ces dernières années par exemple, soit des applications, soit des labels, des sortes de Nutri-score de l'alimentation. Est-ce que tu penses qu'on pourrait voir apparaître dans le futur l'équivalent d'un Nutri-score de l'information?

Alors je dirais pas obésité parce que d'abord j'ai eu des contacts avec des communautés qui me disent que ça ne correspond pas exactement. L'obésité est une maladie aussi en partie, donc c'est beaucoup plus complexe, donc je parlais plutôt de surcharge, surcharge informationnelle. Et c'est vrai que le lien avec l'alimentation il est intéressant parce que quand on tire ce fil-là, en fait on peut l'appliquer quasiment à tout. Et c'est vrai que le point de départ c'est celui de la vache folle qui effectivement il y a 20 ans nous a permis de nous rendre compte qu'il y avait quelque chose qui ne marchait pas, qui était déréglé dans l'industrialisation de l'alimentation, qui est relativement récente dans l'histoire de l'humanité. Et donc avec des choses qu'on ne savait pas, un manque de transparence qui faisait qu'on nourrit des vaches avec des farines animales par exemple. Avec cette même idée aussi que ça provoquait une maladie qui en plus incubait pendant plusieurs années donc on ne savait pas si on allait tous mourir, la vache folle qui a défrayé le chronique à l'époque, qui nous a permis simplement de nous rendre compte que quelque chose n'allait pas. C'est exactement comme dans l'information, les fake news, on ne sait pas trop si on va tous mourir avec les fake news, on n'a pas encore la preuve d'ailleurs que les fake news font basculer les démocraties. On sait qu'elles ont pu provoquer des meurtres par exemple chez les Rohingyas, ça a été prouvé par l'ONU par exemple, mais sur la démocratie c'est plus compliqué. On pense que la télévision a aussi son rôle, mais on voit bien qu'en tout cas on se dit ça, ça va peut-être nous faire basculer, on ne sait pas trop ce que ça va devenir donc ça enflamme les fantasmes aussi et on se dit on va peut-être vivre dans un monde de fake news dans les prochaines années. Mais ça nous permet surtout, c'est là qu'il faut regarder, ce n'est pas ce que ça va devenir demain parce que là c'est la machine à faire peur qui fonctionne à plein régime, c'est de se dire qu'est-ce que ça révèle, qu'est-ce que ça révèle de notre façon de fabriquer l'information, qu'est-ce que ça révèle de notre façon de consommer l'information et de la croyance que les experts ont tous raison, de la croyance que nous-mêmes nous avons raison et on se trompe encore plus quand on pense qu'on connaît le sujet. Donc tout ça a été pas mal étudié et je pense que c'est cette prise de conscience qui finalement est une bonne nouvelle, va nous amener aussi à beaucoup plus de vigilance. Et le lien avec la surcharge informationnelle c'est qu'en fait cette surcharge elle est souvent due à une mauvaise alimentation parce qu'on mange trop de graisses, trop de sucre, pareil le sucre c'est pas mauvais et puis il y a beaucoup, on a dit aussi un peu n'importe quoi sur le sucre, mais par contre une alimentation équilibrée c'est important. Donc une diététique comme on l'a vu ces dernières années, elle a toujours existé mais elle est encore plus importante aujourd'hui et puis on se rajoute aussi la dimension bio et la qualité de l'alimentation, la traçabilité etc. Eh bien cette diététique il faut l'appliquer à l'information de façon très large et donc on a besoin de développer une diététique cognitive comme on a développé une diététique sur l'alimentation. On a plein de bouquins dans les rayons qui nous parlent du régime pour maigrir cet été, il faudrait peut-être qu'on les envahisse à nouveau avec des bouquins qui nous apprennent ces diététiques, donc cette science quelque part qu'il va falloir développer. Sur les Nutri-scores je dirais que c'est, est-ce qu'il faut développer un infoscore de l'information? Les Nutri-scores eux-mêmes sont déjà très décriés, il n'y a pas mal de débats autour de ça, est-ce qu'ils se trompent, est-ce que parfois ils insistent trop sur tel élément et pas assez sur l'autre? Les labels bio qui ne sont pas vraiment complètement bio etc. Donc je pense que c'est important de les avoir, ça nous permet de réfléchir, mais je pense que le plus important, moi j'ai écrit ce livre en étant colocataire à Bali avec un jeune youtubeur qui lui a développé une théorie sur l'alimentation, puisque lui-même était obèse, il a fait beaucoup de sport, il a fait un régime et puis il s'est rendu compte qu'il était super malheureux toujours. Donc il s'est dit, en fait le problème c'est pas d'arrêter de manger, c'est pas de condamner le sucre, notre émotion, nos envies soi-disant qui seraient dues à notre cerveau, qui nous obligent à trop manger, il dit c'est n'importe quoi, le vrai problème c'est dans notre tête et donc réglons déjà nos problèmes, pourquoi est-ce qu'on va vers des fausses infos, peut-être qu'on a un problème à régler. Donc c'est un peu ces questions-là qu'il faut essayer d'aborder, de la même manière qu'on l'a fait avec la diététique.

Ton voyage à Bali a été un point de bascule, je me suis demandé en lisant ton livre si tu avais déménagé à Bali pour quitter le stress de ta vie parisienne et pour pouvoir écrire ce livre ou si tu avais commencé à écrire le livre là-bas, une fois installé et tu n'y étais pas allé explicitement pour le faire. Comment ça s'est passé, comment s'est articulé l'écriture et le voyage?

On va dire que c'était un pur hasard parce qu'au moment où j'avais décidé de partir à Bali pour un essai de deux mois, j'avais besoin de partir et de tester cette vie de nomade, donc avec simplement mon sac comme seule maison, juste avant de partir j'ai signé le contrat avec la maison d'édition sur cette thématique. Et quand je suis arrivé à Bali, j'ai eu un premier moment insas où vraiment on se déconnecte complètement, on profite de la vie, j'ai fait des choses que je n'avais jamais fait avant, donc on se remet beaucoup en question etc. J'étais là devant mon pitch de mon livre et je me disais mais je suis tellement loin de tout ça, est-ce que vraiment ça a un intérêt? C'est plutôt l'effet inverse. Et puis en fait, plus j'avançais, ça m'a pris deux mois avant de commencer vraiment à travailler dessus, à écrire, je me suis dit en fait non mais on est en plein dans le sujet, qu'est-ce que je suis en train de faire là? Pourquoi je me déconnecte? Et qu'est-ce que ça veut dire en fait? Quelle est l'expérience que je suis en train de faire? Et finalement, tout ce livre est devenu, alors j'ai beaucoup emprunté au code du développement personnel, mais c'était un peu l'idée de départ, mais finalement c'est un peu une quête, je suis allé répondre à beaucoup de questions en fait, pourquoi je m'informe mal? Comme quelqu'un qui aurait des problèmes de poids, pourquoi j'ai des problèmes de poids? Arrêtons de juger, essayons de comprendre ce qui se passe dans notre tête, dans notre société, et qui nous amène finalement parfois à surconsommer, à nous comporter un peu bizarrement, de façon irrationnelle, et de voir comment on peut régler ça. Donc finalement, ça a été presque une cure, qui est passée par un jeune d'info d'ailleurs, et tout le bouquin c'est aussi cette quête-là et cette réflexion. Je ne suis pas parti avec les réponses, je suis parti avec plein de questions, je les ai toutes remues en question au bout de deux mois, mon plan était foutu en l'air, et je me suis dit mais je ne vais jamais y arriver, et finalement ça s'est reconstruit, parce qu'en creusant j'en suis venu à des réponses nouvelles aux questions que je me posais.

En lisant le livre, je t'avoue qu'à un moment donné je me suis demandé si la solution ce n'était pas une sorte de stoïcisme, voire même une forme de fatalisme, face à ce flot perpétuel d'infos qui nous enferme et qui nous angoisse. Est-ce que cette envie de tout contrôler en permanence, de tout savoir, ce FOMO que tu évoques aussi dans le livre, ce n'est pas ça le problème, et qu'il faut accepter de voir passer les tsunamis en restant le plus calme et le plus serein possible, parce qu'on sait que de toutes les manières on n'a pas le contrôle dessus?

Oui, je dis souvent qu'à côté du dérèglement climatique, il faut s'intéresser aussi au dérèglement informationnel. Le problème c'est le dérèglement quelque part, on a l'impression que le monde se dérègle. Et en fait j'en suis venu à me demander, le problème c'était le dérèglement, parce que finalement le dérèglement c'est la marge du monde, on peut dire oui, mais ça se dérègle plus vite, d'accord? Mais est-ce que notre problème c'est le fait qu'on a un problème avec le dérèglement? Avec le fait que ça se dérègle, que ça bouge, que ça soit chaotique, etc. Ou alors qu'on s'en rend compte que ça se dérègle. Et je crois que, et donc c'est une position qui est très stoïcienne, alors moi c'est mon associé dans Flint qui est un développeur, un ingénieur, qui m'a initié au stoïcisme, parce que lui a beaucoup réfléchi, alors lui c'est un jardinier à côté, c'est un fils agriculteur, et il a une très profonde réflexion sur les choses, on échange beaucoup sur le code, sur l'intelligence artificielle, sur sa façon d'aborder les choses, et c'est lui qui m'a parlé de ça, et finalement, le stoïcisme c'est quoi? C'est de se dire, le monde se dérègle, on a l'impression que le monde se dérègle, ou alors le monde nous tombe dessus, ou il y a des choses qui sont en train d'arriver, on ne sait pas comment on va réagir, il y a tellement de choses qui ne dépendent pas de nous, ne serait-ce que même que le dérèglement climatique. On dit oui, moi je vais aller trier mes déchets, je vais éviter de prendre l'avion, etc. Mais enfin fondamentalement on voit bien que tout ça demande quand même une action collective, là j'enfonce des portes ouvertes. Mais ce que dit le stoïcisme c'est que ne vous stressez pas de ce que vous ne pouvez pas contrôler, sinon vous allez être très très malheureux. Ça peut dire qu'il ne faut rien faire, mais par contre concentrez-vous sur la façon dont vous pouvez réagir face au monde extérieur. Et ça change pas mal de choses parce que déjà le fait de se poser cette question-là, ça nous amène à réfléchir, à réfléchir sur nous-mêmes, pourquoi est-ce qu'on réagit comme ça, et finalement à se mettre en action, mais à se mettre en action peut-être de façon plus sereine.

Je voudrais qu'on se projette dans les 5 à 10 prochaines années, on a vu depuis 20 ans comment les outils numériques et en particulier les moteurs de recherche par exemple ont modifié notre façon de stocker nos savoirs, nos informations. On ne mémorise plus l'information, on mémorise aujourd'hui les liens vers l'information. Et puis l'IA est en train de faire probablement la même chose avec nos compétences. Regarde par exemple ce qui se passe avec les copilotes, ces applications qui permettent aux développeurs d'accélérer leur développement en générant du code pour elles. Donc en réalité on ne mémorise plus par exemple ces compétences, savoir coder, c'est fini, ce sont les IA qui nous permettent de mémoriser ces compétences à notre place. Donc si la machine modifie notre façon de stocker les savoirs déjà depuis des années et maintenant elle commence à modifier aussi notre façon de stocker les compétences, est-ce que tu penses qu'on est entré dans une ère où tout va commencer à s'externaliser dans la machine? Et ça je te pose cette question parce que c'est un lien avec le sujet que tu traites dans ce livre puisque c'est un livre avant tout sur notre cerveau. Est-ce que la nature même de notre cerveau est en train de changer?

Ça commence avec Socrate qui s'opposait à la lecture, à l'écriture en fait, notamment parce que du coup c'était dans les bouquins et plus dans l'interaction, plus dans l'échange qui était quand même la méthode de Socrate préférée, et la mémoire, donc il pensait effectivement qu'on allait vers une forme de destruction du cerveau, alors est-ce que c'est une destruction créatrice? On a eu les mêmes questionnements avec l'imprimerie. Je dirais quelque part que la technologie qui transforme le cerveau, elle commence d'accord avec l'écriture, elle commence avec la roue, mais aussi elle commence avec l'horloge. C'est très con mais en fait quand tu te réveilles le matin, tu as ton réveil en général, donc tu te réveilles à 7h par exemple tous les matins, ou à 5h peu importe, et tu te réveilles parce que tu as mis ton réveil avant de se réveiller parce que le soleil se levait. Et l'horloge était là pour marquer le temps au travail, et donc déjà ça transforme en fait la relation au travail, la relation entre les gens, notre relation au monde, et Nicolas Carr qui a écrit un livre qui s'appelle The Shallows, qui parle justement comment internet transforme nos esprits, fait une référence à McLuhan qui a écrit ce livre qui s'appelle The Medium is the Massage, qu'on a d'ailleurs bizarrement transformé en The Medium is the Message, ce qui n'est pas du tout le cas, et c'est important de comprendre la différence parce que The Medium is the Massage, ça veut dire quoi? Ça veut dire que la technologie, elle nous masse, et elle masse quoi? Elle masse le cerveau. Quand on masse le cerveau, on débloque des trucs et en fait on transforme, on modèle petit à petit, et Nicolas Carr dans son livre qui montre l'impact de la technologie sur le cerveau, avec énormément de documents, d'études, etc., il a du mal à en venir à une conclusion. Il dit ça change donc il faut faire attention, il faut vérifier, il faut contrôler, mais la science est trop fraîche pour en tirer des conclusions. Mais il dit notre cerveau évolue. Umberto Eco dans un livre avec Jean-Claude Carrière si je me souviens bien, sur la littérature, disait qu'en fait Google, comme on a accès à Wikipédia via Google par exemple, du coup on retient moins les choses, donc finalement on a des... notre capacité de mémoriser est en train de disparaître au profit de celle de l'analyse. De la même manière il dit notre cerveau est en train d'évoluer. Est-ce que ça va trop vite, on ne sait pas. Il y a une certaine plasticité quand même du cerveau. Ça veut dire en tout cas qu'il faut le surveiller, il faut en être conscient, mais c'est clair que notre façon de penser, notre système cognitif est en train d'évoluer avec ces technologies.

Et encore, on n'a pas évoqué la révolution qui pourrait arriver derrière. Alors c'est vrai que depuis quelques temps maintenant, on considère qu'elle est passée, qu'elle a été dépassée, je pense aux métavers, aux univers 3D immersifs, qui ont longtemps fait parler d'eux l'année dernière et puis qui ont complètement disparu avec le buzz autour des IA génératives. Mais tout de même, comment est-ce que tu penses que notre rapport au monde et comment notre cerveau finalement va évoluer avec cet effacement progressif de la limite entre le virtuel et le réel? Est-ce que tu as réfléchi à ce phénomène?

Oui, alors moi je suis un très mauvais prospectionniste parce que j'ai du mal à imaginer, bon je n'ai pas de mal à imaginer, ce n'est pas de problème en général, mais j'ai du mal à imaginer quelque chose qui soit à peu près cohérent. J'ai tendance à essayer les choses quand elles arrivent, mais tout ça, ça nous ramène quand même cet imaginaire. Il y a un truc que je trouve assez compliqué, qui est que je n'arrive jamais à savoir en fait dans quelle mesure la science-fiction, par exemple, a modelé notre technologie, ou l'inverse, quelque part, est-ce qu'elle la prévoit ou est-ce que finalement elle a tellement inhibé nos imaginaires que, notamment la génération actuelle d'entrepreneurs de la tech, ont tous été biberonnés à Isaac Asimov, je parle d'Elon Musk par exemple, dans quelle mesure ces deux-là, c'est finalement la façon dont on imagine le futur, a conditionné aussi la façon dont on va le faire avec ces fantasmes-là. Yuval Noah Harari explique que Sapiens se distingue de Néandertal, je ne sais pas s'il a complètement raison, mais en tout cas par sa capacité à construire ensemble, et il construit ensemble parce qu'il a une capacité d'imaginer, et on sait aussi que comprendre les choses, on comprend par ce qu'on imagine, sans imagination on a du mal à comprendre les concepts, donc tout ça fait qu'on est conditionné par notre imaginaire. Et donc la science-fiction est extraordinaire parce qu'elle nous permet de voir les risques, d'anticiper, elle peut nous permettre aussi d'imaginer des meilleurs mondes, donc d'inventer nos propres futurs puisqu'ils sont difficiles à prédire, donc j'ai un peu du mal avec ces prédictions parce que d'abord elles sont souvent dystopiques, mais elles sont là pour nous alerter, donc je les prends comme des alertes, et je les prends comme des alertes qui nous obligent à essayer de regarder là où on va, qu'est-ce qu'on est en train de faire là maintenant, qu'est-ce qu'on actionne, de façon à être plus cohérent, en espérant aussi qu'elles nous permettent d'imaginer des choses aussi positives, parce que pour l'instant la vision de la technologie, surtout à un certain âge, j'ai pas fait d'études là-dessus, mais sincèrement quand tu regardes, le problème c'est que plus tu es âgé, plus tu fais des essais en général, quand t'as plus réfléchi, donc t'as plus tendance, et donc les gens qui écrivent des essais en font plus vieux que ceux qui n'en écrivent pas. Et quand t'arrives déjà à 50 ans, t'as toute la génération qui est née avec Internet, qui a fantasmé sur Internet, qui est super déçue, qui du coup là maintenant la technologie c'est horrible, et puis à partir de 40-50 ans tu reviens vers la nature, t'as moins besoin, t'as besoin de déconnecter etc. ce qui est très bien. Mais quand même on voit bien que quelque part la vision du monde qui est en train de se préparer, elle est quand même conditionnée par tous ces trucs-là. Et quand tu parles aux plus jeunes générations, ils sont surtout inquiets par les règlements climatiques globalement, enfin c'est le truc principal qui les inquiète, le reste un peu moins, enfin encore une fois je fais une généralité globale, y'a pas d'études complètes qui ont été faites là-dessus, donc le monde que j'imagine demain, je pense qu'on voit bien qu'on est dans un monde qui est en crise, clairement, on est dans un monde complexe qui est complètement imprévisible, mais je pense qu'on a une vision partielle. Le seul fait que Hans Rosling, qui a écrit ce livre « Factfulness » qui est extraordinaire, qui te dit quand même que quand ils ont posé des questions sur les données réelles du monde tel qu'il va aujourd'hui en bien ou en mal, ils ont posé la question à des grands experts internationaux, ils ont posé la question à des chimpanzés, et les chimpanzés avaient trouvé plus facilement la bonne réponse au hasard globalement, ça nous interroge quand même sur la vision qu'on a de l'avenir, si notre vision du réel elle est déjà et sur l'évolution des données de l'humanité est aussi biaisée. Donc je pense qu'il faut, et j'ai écouté un économiste il y a quelques temps qui parlait du futur qui lui est plutôt optimiste, qui disait qu'on est plutôt à l'ère d'un grand basculement et qui expliquait qu'on ne voit pas les progrès incroyables qui sont faits aujourd'hui par la science, notamment les progrès scientifiques, notamment aussi grâce à l'intelligence artificielle, au big data, aux données qu'on peut récupérer aujourd'hui sur le génome, sur l'intelligence artificielle évidemment, mais dans le domaine de la médecine, dans le domaine de l'ingénierie aussi, et peut-être demain pour régler aussi des problèmes climatiques sans faire de solutionnisme, mais en tout cas ça avance tellement vite et on ne le voit pas forcément, tout ça est en train de converger au même moment. Donc moi je pense qu'il y a une vague d'accélération très forte, très positive, et à côté un monde qui est en train de trembler avec énormément de risques en même temps, avec beaucoup d'interconnexions assez imprévisibles, et je pense qu'on avance sur ces deux voies. Et je pense que la meilleure des réponses à ce problème-là c'est de garder la tête froide, de former les esprits, et qu'on soit tous conscients aussi de la… Je pense que la défatigation du cerveau, je pense que c'est un problème de santé publique, la diététique cognitive c'est une question de santé publique, parce que plus on sera stressé, plus on sera soi-disant surinformé ou sur-sollicité, plus on aura du mal à réagir et à réfléchir. Donc voilà, pour naviguer sur cette voie étroite, il faut faire attention à son cerveau. Ça me parle quand tu évoques… D'abord, moi je suis prospectiviste, donc j'ai pas de mal à me projeter dans le futur et à imaginer la particularité des prospectivistes, c'est qu'ils ont la chance comme moi d'écrire des essais mais d'y injecter de la fiction, tu vois. Donc là en ce moment par exemple je suis en train de rédiger un ouvrage où plus de 50% est de la fiction. Je pars du présent, je vais dans le futur et je reviens du futur au présent. Et une des choses qui m'a frappé dans ce que tu disais, parce que ça me rappelle ce sur quoi je travaille en ce moment, c'est vrai que Homo sapiens a la particularité, d'après Harari, mais pas simplement, c'est lui qui a démocratisé cette idée d'avoir été la première espèce qui a imaginé ensemble et travaillé ensemble pour créer cette puissance qui est la puissance humaine et qui dépasse celle de tous les autres êtres vivants.

Sauf qu'on est entré dans une ère où aujourd'hui on n'est plus en mesure simplement de construire ensemble avec l'humain mais de construire ensemble avec la machine. Certains parlent de Homo numericus et donc c'est un changement, c'est un changement de paradigme, c'est un changement anthropologique. On est aussi peut-être en train de rentrer dans une époque qui est encore plus radicale et j'évoque ce sujet parce que depuis peu, depuis peu de temps, depuis la révolution qu'on vit en ce moment avec notamment les IA génératives, chat GPT, on voit des projets, des acteurs qui essaient de rendre la machine la plus autonome possible. Autrement dit, j'évoque par exemple ce qui est sorti il y a quelques jours seulement, ce projet open source qui consiste à prendre chat GPT et à donner un accès à une machine autonome qui a accès à internet, qui a tous les accès possibles sur ses ressources, c'est-à-dire pouvoir installer des logiciels, pouvoir modifier les paramètres de la machine. Donc l'équivalent finalement d'un opérateur sur une machine complète avec chat GPT et cette machine est autonome, c'est-à-dire qu'elle n'a pas besoin d'un humain pour agir dans son environnement, elle peut interroger chat GPT pour lui demander comment faire telle ou telle tâche et exécuter ces tâches. Typiquement, aller chercher, on peut lui demander au départ de construire tout un repas pour une fête d'un événement qui pourrait arriver et donc la machine va chercher sur internet automatiquement quels sont les événements qui pourraient arriver dans les jours qui viennent, aller chercher en fonction de l'événement qu'elle va trouver une recette, aller chercher ensuite toutes sortes de choses. On pourrait imaginer aussi des scénarios beaucoup plus intrigants, beaucoup plus dangereux où la machine pourrait par exemple être amenée à pirater pour récupérer des informations ou falsifier des informations. Ce que je veux dire par là c'est qu'on entre dans une ère où on n'est plus humain face à la machine à co-construire avec elle mais la machine peut construire elle-même en coopérant avec d'autres machines. C'est vraiment plus l'ère de l'homo sapiens qui gagne en puissance parce qu'il coopère mais c'est l'ère de l'ex machina où les machines coopèrent entre elles pour pouvoir gagner en puissance. Alors j'ai conscience que ce que je dis est de la science fiction mais que la réalité commence à se rapprocher de ce scénario. Ma question est simple, je ne suis pas sûr que nous ayons la réponse mais je voulais avoir ton sentiment sur ce sujet. En imaginant dans les dix prochaines années arriver à une situation comme celle-là, quelle est selon toi la place qu'il nous reste en tant qu'humain fait de chair et de sang?

Déjà là tu évoques deux problématiques finalement mais déjà ce que tu me dis me fait penser à ce film que j'avais vu quand j'étais gamin qui s'appelle Planète Hurlante qui est tiré d'un livre qui s'appelle Nouveau Modèle de Philippe Cadic. C'est la machine qui est capable justement de créer d'autres machines. Elle s'autogénère, elle évolue, elle se fait de plus en plus perfectionnée, elle apprend et à la fin elle crée des espèces de machines absolument terrifiantes. La dernière, la machine idéale c'est une petite fille qui ressemble à une petite fille par contre qui est une meurtrière totale. Donc il y a une dimension presque biologique, on pourrait presque imaginer le déploiement de l'interconnexion de ces technologies que sont les IA génératives qui ne sont pas intelligentes mais qui sont capables d'automatiser des process cognitifs, des applications, l'ensemble des plateformes dont parfois on ne les connaît pas. Ces plateformes on ne sait pas ce que ça donne une fois qu'elles sont connectées les unes avec les autres. Donc on est dans des systèmes complexes avec peut-être finalement des comportements proches d'organismes, voire de virus etc. Donc le lien entre le monde cyber et justement la virologie par exemple, ce genre de choses, je pense qu'il est assez fascinant. Nous on l'avait observé lors des premiers pas qu'on a fait avec l'intelligence artificielle de Flint qui était extrêmement primaire, simplement elle était auto-apprenante et du coup on les entraînait et on voyait petit à petit comment elle évoluait. Il y avait déjà, on leur apprenait, on leur donnait un peu de culture générale, on les faisait apprendre un peu toutes seules, il y avait un peu de non-supervisés, on faisait des thèses comme ça. J'avais écrit un article d'ailleurs pour dire que ça me faisait penser à un organisme vivant en fait, sans conscience évidemment, mais il y avait une dimension toujours imprévisible dans leur comportement et des fois on l'observait comme quelque part un scientifique observerait un organisme là, un globe, voir comment il évolue, ce qu'il est capable de faire. Et l'analogie avec le globe n'est pas innocente puisque le globe est un truc qui ne ressemble à rien mais qui en fait a une forme d'intelligence mais pas vraiment humaine qui s'inspirait peut-être plutôt de la pieuvre par exemple, ou de l'espace, on ne sait pas trop d'où vient cette... Montrer en tout cas que les intelligences sont différentes. Donc effectivement c'est assez fascinant, un peu effrayant, mais de la même manière qu'on pourrait être effrayé par les nouveaux virus, par les nouvelles épidémies qui vont s'y arriver, par la manipulation génétique aussi quelque part et quelles sont les conséquences quand on interconnecte tout ça. Donc je pense qu'il faut être extrêmement vigilant. La place de l'humain, elle est intéressante dans ce que tu viens de dire parce que c'est vrai que depuis le début quand on parle d'intelligence artificielle, cette question reste. Est-ce que le robot est censé être... Je dis le robot parce que c'est l'imaginaire qu'on a notamment avec Isaac Asimov, mais si on prend la première conférence de Dartmouth en 1956, on a posé la définition de l'intelligence artificielle avec quelques piliers. La question est toujours, est-ce que ça va remplacer l'humain? Est-ce qu'on veut faire l'équivalent d'un humain? Et du coup, à quelle va être la place de l'humain par rapport à ça? Et puis cette autre branche je dirais qui considère plutôt que ce sont des outils, des instruments et que le rôle de l'humain il est toujours de faire en sorte que ces instruments sont au service de l'humain. Et là c'est ce qu'on appelle un peu l'alignement. Quand on parle d'alignement avec l'IA, c'est de faire en sorte que l'IA s'aligne avec les besoins humains et ne décide pas d'avoir une pensée autonome, une décision autonome. Et je pense que ce qui se passe aujourd'hui, ce n'est pas parce que ces machines ont l'air intelligente. D'abord elles ne le sont pas quand on comprend un peu comment marche la technologie, pas intelligente au sens de l'intelligence telle qu'on l'entend aujourd'hui. Par contre, elles sont très performantes. Donc elles sont très performantes dans nos tâches cognitives. Et donc ça ne retire pas le danger parce que ce que tu viens de décrire avec AutoGPT, on est sur des machines très performantes cognitivement. Elles sont capables d'écrire du code, d'écrire du texte, de se connecter à d'autres apps et du coup de permettre la génération d'une application qui va être publiée sur GitHub, donc la plateforme technique, puis ensuite est directement publiée sur Internet. Donc elles sont extrêmement performantes sans être intelligentes, donc sans remplacer l'humain. Donc vraiment la première question c'est déjà de se dire on est face à des machines qui sont hyper performantes, qui ont une capacité d'apprendre d'elles-mêmes, donc de pouvoir se développer un petit peu comme des microbes quelque part, en tout cas un petit peu comme des organismes vivants. Donc là déjà il y a un danger, il y a des risques en termes de cybersécurité, etc. Avant même de penser la question du remplacement par l'humain. Pour moi cette question du remplacement par l'humain, elle est très bien imagée par le champion du monde de Go, Lee Sedol. J'invite les auditeurs à regarder ce documentaire Netsix AlphaGo, on tremble du début jusqu'à la fin parce qu'il est drame, c'est un drame en cinq actes. Il y a cinq matchs, Lee Sedol en gagne le deuxième si je me souviens bien, il perd les trois derniers. Et au deuxième il essaie de comprendre comment fonctionne le robot, il arrive à trouver une parade et après le robot fait des coups tellement étranges, c'est-à-dire pas du tout prévisibles en dehors de toutes les règles de la tradition du Go. Il reste dans les règles du jeu mais pas dans les règles de la tradition. Lee Sedol est complètement effondré et il y a une telle émotion, il se dit mais finalement voilà je suis battu par l'humain, par le robot, dans cette guerre entre la machine et l'humain. Et il s'effondre, il pleure d'ailleurs, et quelques instants après il dit mais en fait je suis extrêmement reconnaissant à AlphaGo parce que je me suis rendu compte que je jouais de façon très traditionnelle et finalement ma vision du jeu était assez fermée. Et j'ai réalisé en observant le comportement de ce robot, de cette IA, c'est qu'en fait il y avait énormément de possibilités, plein de nouveaux chemins possibles et donc je me suis rendu compte qu'il y avait une nouvelle façon d'apprendre à jouer au Go. Et d'ailleurs AlphaGo a été utilisé pour entraîner les humains. Et puis la petite histoire c'est que récemment un humain a enfin battu AlphaGo donc il y a peut-être un petit retour de l'histoire mais je pense qu'on se trompe dans cette idée de combat. Je pense qu'au contraire, interagir avec la machine peut nous rendre plus intelligents, peut nous permettre de découvrir des nouvelles choses, de penser différemment, à condition de ne pas se tromper d'objectif et de ne pas avoir cette espèce de… je pense qu'on a une espèce de complexe, les humains, j'ai l'impression que parfois on considère que les humains sont des abrutis finis, meurtriers. Si tu regardes dans les films, quand les extraterrestres observent l'humanité on a l'impression qu'on est vraiment des monstres complètement débiles. Et que finalement c'est pas plus mal si une IA devait penser l'avenir du monde, c'est la première décision que l'IA prendrait, ce serait détruire l'humanité. Je pense qu'il y a une question profondément psychanalytique à analyser dans la question que tu as posée. Pas pour toi, dans l'imaginaire qui est autour de cette idée du remplacement.

Oui, je suis tout à fait d'accord avec toi et je trouve assez à la fois étonnant et en même temps désolant de voir beaucoup de réactions négatives quand on voit l'évolution des IA en ce moment avec des interdictions par exemple, avec des envies de bloquer, d'arrêter en fait cette course. Alors qu'on oublie une chose qui est fondamentale, c'est que l'humain, le cerveau humain a une capacité d'apprentissage bien plus rapide et bien plus efficiente que n'importe quel IA. Je vais mettre une parenthèse en disant aujourd'hui, on ne sait pas ce que nous réserve l'avenir mais aujourd'hui on est capable d'apprendre en tant qu'humain avec des heuristiques, avec des raccourcis qu'aucune intelligence artificielle n'est capable de faire. Et au contraire j'aurais tendance à utiliser ces IA, un peu comme tu le citais il y a quelques instants, comme des moyens pour nous apprendre à aller encore plus loin. Autrement dit, je n'aime pas le terme augmenter parce qu'on a tout de suite l'impression de parler d'un être hybride, d'un être qui n'est plus humain en fait, d'un être qui a déjà intégré des artefacts de la machine à l'intérieur du corps. Mais ce n'est pas du tout ça. L'idée c'est de voir l'IA un peu comme un vaccin. On voit l'IA comme une maladie mais en réalité quand on utilise la maladie pour nous protéger contre la maladie, c'est un vaccin, et bien on peut considérer que l'IA devient une sorte de vaccin contre les méfaits possibles de l'IA. Et en plus on ne sait même pas si une IA super intelligente sera motivée à nous détruire ou au contraire à intégrer les grandes lois de la théorie des jeux qui nous a appris qu'elle est plutôt amenée à respecter l'adversaire et à coopérer avec l'adversaire plutôt que le détruire. Moi j'ai la conviction, c'est une croyance, il n'y a rien de scientifique là-dedans, qu'au contraire les IA, plus elles avanceront dans cette intelligence, plus elles auront envie, elles auront le désir peut-être, j'utilise sciemment le terme de désir, de coopérer avec nous parce qu'elles seront plus intelligentes peut-être que nous. Pour finir, un mot, j'ai l'habitude de poser cette question à mes invités, tu en as cité plusieurs, tu as cité les livres d'Asimov, de Philippe Kadic, est-ce qu'il y a une oeuvre de science-fiction qui soit dans l'écriture de livres, soit au-delà de ce livre, t'a marqué? Ça peut être un livre, ça peut être un film, ça peut être une série, ça peut être une BD, peu importe.

J'ai beaucoup lu de science-fiction, il y en a beaucoup qui m'ont, globalement tous les classiques, m'ont marqué Isaac Asimov sur les robots mais pas seulement sur les robots parce qu'il y a cette réflexion et c'est fascinant parce qu'on regarde à la lumière d'aujourd'hui, il y a Dune, parce que Dune c'est aussi toute la question de l'humain qui se transforme, tu parlais justement de transformation aujourd'hui et donc c'est des thèmes qui sont fascinants et qui continueront à nous hanter ou à nous éviter en tout cas dans les prochaines années. Il y a un roman qui m'a marqué parce que je l'ai lu quand j'étais petit et quand il n'y avait pas internet. Le roman s'appelle Iterion de Dan Simmons. J'ai un vague souvenir du roman donc je ne rentrerai pas complètement dans les détails mais il y a quelque chose d'assez fascinant avec une sorte de machine meurtrière dans une sorte de labyrinthe. Mais surtout c'est une réflexion sur la connexion puisque l'ensemble de l'univers, les gens sont connectés par une sorte de réseau qui les relie entre eux et un jour ce réseau tombe comme une panne généralisée d'internet. Je trouve que c'est un roman qui nous parle d'internet avant l'heure dans sa dimension la plus vaste et du coup quelque part l'univers s'effondre et l'humain commence à penser à agir différemment et ça provoque un nouveau bouleversement. Moi ça me dit quelque chose pour si on doit conclure justement la science fiction et la dystopie surtout nous permettre de tirer des lignes droites. On sait que le monde ce n'est pas des lignes droites. On peut aller vers de plus en plus de technologies, de surconsommation et puis hop on va revenir en arrière, on va avoir besoin de déconnexion, de bio, de connexion à la nature. Les civilisations elles-mêmes aussi fonctionnent parfois par cycle, par haut et par bas. Donc quelque part on voit bien qu'on va vers une évolution et puis tout s'effondre et on continue à vivre. Donc je crois que je ne crois pas à la ligne droite, je crois aux lignes brisées et donc imaginer le futur il faut aussi tenir compte du fait que c'est un peu nous qui le créons, c'est un peu nous qui le générons ce futur là. Tout se passe beaucoup dans notre tête. Je terminerai avec une réflexion de l'ancien patron de l'IA de Facebook que j'ai interviewé pour mon livre. C'est lui qui a déployé l'intelligence artificielle, le machine learning plus précisément chez Facebook et je lui dis mais si vous deviez changer les choses, parce qu'il a démissionné et il a un peu de recul par rapport à ça. Il me dit, en fait, lui c'est un ingénieur et les ingénieurs ils sont habitués à régler les problèmes, peu importe le problème en fait. Il me dit mais en fait c'est ce qui nous a manqué, on a manqué de philosophes, on a manqué de gens qui pensaient la science politique. Il dit ben moi je referai des études de philosophie et de science politique et je crois que le monde est dirigé par la technologie mais ce qui nous manque et ce qu'on devrait développer c'est justement une plus grande conscience philosophique et une plus grande conscience politique de ces enjeux là parce que tout ça va en même temps. C'est cette responsabilité là qui va faire le monde de demain.

Merci Benoît.