Faut-il se préparer à tous les scénarios ?

 

Evoquer le danger, comme Emmanuel Macron sur l'Ukraine, risque-t-il de l'engendrer ? Les plus grands périls sont plutôt provoqués par l'ignorance, consciente ou non, des situations, note Michel Levy-Provençal.


 
 

Publié dans Les Echos le 19 mars 2024

Depuis quelques années, le terme « scénario » a quitté le champ sémantique exclusivement cinématographique pour entrer dans le langage courant. Pendant la crise du Covid , de 2020 à 2022, il ne se passait pas un jour sans que les médias, les responsables politiques et les dirigeants d'entreprises n'évaluent, n'anticipent ou ne nous préparent à « tous les scénarios ». Depuis lors, la planification de scénarios est devenue une pratique de plus en plus populaire dans les entreprises et au sein de l'administration publique.

Lancée dans les années 1960 par Pierre Wack, un Français qui travaillait à la Royal Dutch Shell, cette approche a sauvé l'entreprise à deux reprises, pendant les chocs pétroliers de 1973 et 1979. Avec son équipe, il a été le premier à imaginer des chocs à venir plausibles, à s'y projeter et à tenter de trouver des réponses afin de limiter les risques et saisir les opportunités qu'ils induisaient. La méthode a été si efficace qu'elle est aujourd'hui enseignée dans les grandes écoles de management et se diffuse largement.

Devoir

La semaine dernière, Emmanuel Macron s'est prononcé sur l'éventualité d'envoi de troupes au sol en Ukraine en rappelant que « notre devoir était de se préparer à tous les scénarios ». Certains commentateurs se sont inquiétés du risque autoréalisateur d'une telle démarche. Ont-ils raison ? Se préparer à un scénario que l'on craint risque-t-il de produire les conditions provoquant son avènement ?

Tous les experts en prospective et planification stratégique vous diront que les périls les plus importants sont plutôt provoqués par l'ignorance consciente ou non des situations que l'on craint le plus, et de ne s'intéresser qu'aux scénarios les plus probables, donc les moins surprenants. Ils ajoutent que c'est plutôt l'absence de préparation qui s'avère plus risquée que l'autoréalisation de certains scénarios.

Ils vous diront enfin que se préparer à tous les scénarios n'est pas pour autant suffisant et ils vous raconteront l'histoire d'une expédition dans les Alpes françaises au début du XXe siècle. Un groupe de randonneurs se perd dans les Alpes sous un épais brouillard. Leur situation est précaire, et ils ne savent pas comment retrouver leur chemin.

Carte

Le moral est bas, et les risques s'accumulent à mesure que le temps passe. Par chance, l'un des alpinistes trouve une carte dans son sac. Grâce à cette carte, le groupe parvient à se coordonner et à trouver un chemin sûr vers la sécurité. Ce n'est qu'une fois en sécurité et après examen de la carte qu'ils réalisent qu'elle n'était pas une carte des Alpes, mais des Pyrénées !

En définitive, les plans d'action construits à partir de scénarios servent surtout à se mettre en mouvement et à ne pas rester statique. Car ne rien faire constitue toujours l'option la plus risquée. En revanche, suivre aveuglément un plan peut s'avérer aussi très dangereux. Le plus important demeure d'analyser en permanence les informations issues du terrain et s'adapter en continu aux situations qui se présentent.

Emmanuel Macron a raison de se préparer à toutes les éventualités. Le risque de ne pas le faire est bien plus important que de provoquer le scénario que l'on prépare. Mais il faudra encore que nous apprenions, individuellement et collectivement, à être plus agiles et réactifs face à l'incertitude . Sur ce point, rien n'est plus paralysant que la peur. Aussi, plutôt que de choisir le registre anxiogène, il aurait peut-être mieux valu en dire moins, continuer à se préparer à toutes les éventualités, agir dans le secret et rassurer le plus grand nombre.