Vie éternelle, colonies martiennes et nouvel ordre mondial, de retour de la conférence TED 2015

Le 31eme opus de la conférence TED vient de s’achever sous une pluie généreuse dans la froide et belle cité portuaire de Vancouver. La brume baigne le palais des festivals abandonné par les deux mille âmes venues sentir battre, pendant une semaine, le pouls du monde qui vient. Et voilà l’heure du bilan après une semaine d’intenses réflexions.  TED 2015 a démarré cette année en évoquant le nouvel ordre mondial. Kevin Rudd, ancien premier ministre australien, a prononcé un discours captivant sur le risque de confrontation à brève échéance entre les USA... et la Chine ! David Rothkopf spécialiste des affaires internationales l’a suivi en soulignant l'échec de la politique internationale des Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001. Il a notamment insisté sur la nécessité absolue de repenser les fondations de cette politique. La Chine devrait vivre, dans un futur proche, des bouleversements économiques et sociaux sans précédents. Elle reste l’usine du monde mais pour un temps qui est désormais compté. Rick Smith a rappelé à quel point les technologies d’impression 3D auront un impact sur les processus de fabrication industriel. L’impression 3D est d’ores et déjà utilisée à 30% pour la fabrication d’objets manufacturés. Mais cette révolution ne fait que commencer et cela va tout changer : l’accessibilité des produits, leur coût, la question de la propriété intellectuelle, l’équilibre économique mondial, l’impact environnemental… À ce sujet, Joseph Desimone, CEO de Carbon3D, a montré une démonstration frappante illustrant la croissance exponentielle des technologies dans le domaine. On imprime aujourd’hui cent fois plus rapidement, cent fois plus précisément qu’il y a un an seulement grâce à la « photo-polymérisation ». L’intervention de Joseph Desimone est la première de la semaine à avoir été publiée par TED. Je vous invite à la découvrir.

[ted id=2216]

En matière de conquête spatiale, la perspective d’une expédition humaine sur Mars à moyen terme n’est plus discutable. En revanche, une colonisation par des dizaines de milliers d’humains l’est déjà plus. Et pourtant, c’est la conviction de Stephen Petranek, journaliste et éditeur en chef du Breaktrough Technology Report, qui a prédit non seulement la vie sur Mars à horizon dix ans mais,  plus encore, l’établissement d’une base humaine de 80 000 individus sur la planète rouge dans le courant du siècle !

Joseph Petranek

Stephen Petranek : “Five hundred years ago, Christopher Columbus sailed across a vast ocean and opened a new chapter in human history, for better or worse… I believe we are on the verge of a much greater age of discovery. We’re going to become a two-planet species.”

Vivre sur Mars ne sera ni un luxe ni une lubie de technoscientiste en mal de sensation. Ce sera une nécessité démographique. Nous devrions vivre de plus en plus longtemps et cela ne sera pas sans impact évidemment sur la démographie mondiale. La question de l’allongement radical de l’espérance de vie et la disparition de la mort à longue échéance sont des sujets fascinants que TED a désormais pris l’habitude de traiter sur sa scène. Cette année encore, la question a été abordée en filigrane lors d’une interview remarquable de la transhumaniste Martine Rothblatt. Transexuelle, pionnière de la « digitalisation de l’esprit humain », elle est mariée depuis plus de trente ans à une femme dont elle a créé un double robotisé. Le désir porte la mort en son sein. Comment aimerons-nous, désirerons-nous quand la perspective de notre mort aura disparue ? Martine nous a interrogé sur des questions fondamentales à venir comme nos droits à l’ère de la vie artificielle...

Bina Aspen & Martine Rothblatt

Bina Aspen & Martine Rothblatt : “We want to be cryogenically frozen and we want to wake up together” Vie artificielle, transhumanisme, robotique, ces sujets nous rappellent que ce qui fait notre profonde humanité sera largement mis à mal par les avancées technologiques qui arrivent. Aujourd'hui déjà le numérique bouscule nos identités. Le respect de notre intimité par exemple disparaît pas à pas. À ce sujet, l’une des interventions la plus surprenante et émouvante fut celle de Monica Lewinsky qui est venu raconter, pour la première fois, à la première personne, l’histoire qui a changé sa vie et qui a annoncé le début d’une nouvelle ère. Monica Lewinsky est devenue, à 24 ans seulement, la première cible d’une « culture de l’humiliation », culture désormais familière dont les médias en ligne tirent aujourd'hui un profit scandaleux. Partisane d’un usage plus sûr et respectueux des médias sociaux elle nous a incité à repenser notre rapport à l’autre à l’époque de la transparence totale. L’intervention de Monica Lewinsky est la seconde de la semaine à avoir été publiée par TED. Je vous invite à la découvrir.

[ted id=2217]

Si je ne devais retenir qu’une seule prise de parole cette semaine, je choisirais probablement celle de Gary Haugen, fondateur de l’International Justice Mission. A l’heure où les inégalités croissent à mesure que la technologie avance et qu’une poignée de plus en plus restreinte de privilégiés possède les clés de notre futur, l’avertissement de Gary Haugen est crucial. Il nous a rappelé que la mère de toutes les injustices est notre négligence naïve à l’égard de l’épidémie mondiale de violence envers les plus pauvres. Très logiquement (la pyramide de Maslow le démontre parfaitement) le besoin le plus fondamental de tout humain est la sécurité et la nécessité de rester à l’abri de tout danger mettant en péril notre intégrité physique. En partant de ce constat et après des années de travail sur le terrain notamment au Rwanda, il a signalé l’effet catastrophique de la violence quotidienne sur la vie des plus pauvres et montre comment cette violence rampante mine les politiques mondiales de lutte contre la pauvreté.

Gary

Gary Haugen : “Poor women and girls between 15 and 44 are victims of everyday domestic abuse and sexual violence that account for more death and disability than malaria, car accidents and war combined.”

En conclusion, après 6 ans de participation assidue à toutes les conférences TED, je pense sincèrement que j’ai assisté cette année à l’une des meilleures éditions. Pourtant, l’absence remarquée d’un sujet m’a un peu déçu. En effet, pas de place à la question de la liberté d’expression cette année. Et les réactions aux événements majeurs de ce début d'année à Paris et à Copenhague étaient absents de la scène. Pourtant, cette semaine encore, la Tunisie et le Yemen ont été frappés par le même obscurantisme et la même haine. La croissance inquiétante de l’islamisme radical, le développement massif et diffus du terrorisme islamiste et à la croissance fulgurante de Daech sont, me semble-t-il, un des sujets majeurs du moment. D’autant que cette idéologie et ses adeptes attaquent les fondements même de la société promise par les avancées sociétales et technologiques louées par TED chaque année.

Mais rien.

Rien sur Charlie Hebdo par exemple. Un rescapé, Luz ou Pelloux aurait peut-être eu sa place sur la scène cette année ? Peut-être pour rappeler l'importance du droit au blasphème ? Nous connaissons la frilosité des médias américains à l’égard de cette question comme l'ont prouvées de nombreuses télés américaines qui ont censuré les caricatures sur leurs antennes en janvier dernier.

Je pensais que TED résisterait à cette « neutralité bien-pensante ». Me serais-je trompé ?