Au-delà du revenu universel : quelle économie pour l'ère post-AGI ?

Je m'efforce dans cette newsletter d'explorer les conséquences de la généralisation de l'intelligence artificielle à court terme. Deux axes guident cette exploration : d'une part, les transformations profondes de nos structures économiques, sociales, géopolitiques et anthropologiques. D'autre part, les méthodes opérationnelles pour accompagner cette mutation au quotidien, dans nos organisations.

Cette semaine, un signal fort est apparu. The Economist , observateur habituellement modéré, vient de consacrer sa une à "L'économie de la superintelligence" . Leur constat ? L'IA accélère. Ça, on le savait… Mais au-delà des attentes, elle pose des questions fondamentales quant à notre rapport au travail, à la création de valeur et surtout à sa redistribution.

Si le travail humain disparaît, comment allons-nous prospérer ?

Le grand écart

Face à cette accélération, les réactions divergent radicalement. Le changement fait peur. À cette vitesse, il terrorise. Le clivage traverse la communauté scientifique elle-même : d'un côté, les sceptiques (Gary Marcus, Luc Julia) et les pessimistes déclarés (Yoshua Bengio, Eliezer Yudkowsky). De l'autre, les convaincus (Sam Altman, Dario Amodei) et les hyper-optimistes (Peter Diamandis).

Dans les entreprises, c'est encore le statu quo. Même si des figures comme Sam Altman parlent d'un possible triplement du PIB mondial à moyen terme, et que l' âge d'abondance est en ligne de mire, rien pour l'instant ne nous pousse à nous inquiéter… Pour l'instant.

Mais si l'on suit les analyses de The Economist, il va falloir s'y mettre. Parce que nous ne disposons d'aucune architecture économique, sociale et politique pour accueillir l'ère de l'automatisation de masse…

Le problème n'est pas immédiat, mais il pourrait se présenter plus vite qu'on ne le pense… et il va falloir réfléchir aux méthodes pour redistribuer une valeur qui aura arrêté (en grande partie) d'être créée par le travail humain.

Quelle redistribution dans une civilisation post-travail ?

1. Le revenu universel : un filet de sécurité (troué)

L'approche la plus connue reste le revenu universel. Les expérimentations se multiplient mais l'équation budgétaire est en réalité vertigineuse : généraliser la mesure absorbée jusqu'à un cinquième du PIB , alors même que les recettes issues de la fiscalité du travail s'effondreraient. D'où proviendrait la valeur ? La fiscalité des machines, des robots et de l'IA. Viable ? Pas sûr. Mais surtout, quel sens donner à l'activité humaine (on peut l'appeler travail ou non, l'humain ne peut rester oisif au détriment de sa santé mentale).

2. Transformer les salariés en rentiers

Une alternative plus audacieuse consisterait à faire des citoyens, non plus des bénéficiaires d'une subvention étatique à vie, mais des actionnaires rentiers… Au fur et à mesure que les entreprises se délesteraient de leurs travailleurs humains, elles verseraient une partie substantielle de leurs parts dans des trusts bloqués permettant le versement de dividendes couvrant les anciens salaires de leurs équipes. Avec une croissance dopée par l'automatisation, le système pourrait devenir soutenable en quelques années. Dans cette optique, on ne redistribue plus, on co-possède son ancienne entreprise.

Cette approche inscrit la solidarité dans le capital même, transformant l'indemnisation des salariés remplacés en revenu d'actionnaire. Pas de ponction fiscale ni de dilution massive. La richesse n'est plus « donnée », elle est possédée. Le problème du sens et de l’inactivité reste entier…

3. Et si chaque citoyen devenait banquier central ?

Emad Mostaque, ancien PDG de Stability AI, s'est exprimé dans un récent podcast animé par Peter Diamandis, et a proposé une vision radicale de la redistribution de la valeur créée par l'IA. Connaissez-vous la preuve de travail (Proof of Work) de Bitcoin ? Des ordinateurs consomment de l'énergie pour résoudre des problèmes mathématiques afin de valider des transactions. Mostaque propose la preuve de bénéfice : la même puissance de calcul génère de la monnaie en résolvant les vrais problèmes de l'humanité (cancer, climat, énergie...) Au lieu de chauffer la planète pour rien, sur la sauvegarde en créant de la valeur.

Dans sa vision, chaque citoyen dispose d'une IA personnelle qui certifie cryptographiquement ses contributions au bien commun. On ne gagne plus de l'argent, on le forge en créant des externalités positives. Chaque action bénéfique (entraide, validation de données, prévention santé…) déclenche la création monétaire dans votre portefeuille.

Cette architecture renverse tout : l'État n'encaisse plus pour redistribuer, elle garantit la validité des preuves de contribution. C'est une transformation qui fait de chaque citoyen le bancquier central de sa propre vie.

Les deux murs 

Évidemment, ces trois visions ne sont pas dénuées de limites… Conséquentes. Car l'IA, loin d'être immatérielle, a faim. Faim de terre pour ses datacenters, faim d'énergie pour ses GPU, faim de métaux rares pour ses circuits.

On va se prendre des murs…

Premier mur : l'énergie. Eric Schmidt prévient que les besoins en énergie pour le calcul pourraient bientôt dépasser notre capacité de production électrique.

Deuxième mur : les territoires. Les nouveaux campus GPU de 5 GW nécessitent des centaines d'hectares proches de réseaux très haute tension.

Les humains pourraient finir par être en compétition avec les IA pour la terre et l'énergie. C'est une phrase écrite noir sur blanc dans le dossier de The Economist !

En conclusion…

Le modèle économique hérité de l’ère industrielle est à bout de souffle. Ce n'est pas seulement le travail qui disparaît, c'est tout notre imaginaire économique. La question devient civilisationnelle.

L'avenir dépendra de deux conditions critiques :

  • Une percée énergétique majeure , notamment la fusion nucléaire, pour soutenir la demande exponentielle en calcul

  • Un mécanisme de partage radical de la richesse , fondé sur la propriété publique des résultats de l'IA plutôt que sur la redistribution étatique.

Et on en est loin… Très loin.

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Michel Levy provençal