De l'organisation à la civilisation symbiotique

La période de vacances est toujours un moment privilégié pour prendre un peu de recul et s'amuser à quelques exercice de pensée.
Avant de marquer une pause estivale de ma newslsetter, je vous propose d'explorer une question qui prolonge les reflexions menées ici-même : es-il possible de transposer à l'échelle de nos sociétés le concept d'organisation symbiotique que je vous ai largement décrit depuis quelques mois ? Revenons-y un instant :

J'ai détaillé les principes de l'organisation symbiotique, dans un article disponible en ligne. Cette approche représente une nouvelle manière de concevoir la collaboration entre humains et intelligence artificielle. En résumé, il s'agit d'une évolution progressive où l'IA passe du statut de simple outil (niveau 1) à celui de véritable partenaire cognitif, capable d'orchestrer des processus complexes sous supervision humaine (niveau 4).

Ce modèle, déjà expérimenté dans certaines entreprises pionnières, repose sur un principe fondamental : les humains gardent le contrôle de la conception et du paramétrage des agents intelligents. Cette approche permet d'améliorer simultanément les performances et la qualité de vie au travail, en créant une véritable synergie entre intelligence humaine et artificielle.

Mais la question qui nous occupe aujourd'hui dépasse le cadre de l'entreprise : à quoi ressembleraient nos sociétés si cette logique symbiotique devenait notre mode d'organisation collective dominant ?

Le Symbioism

C'est précisément cette interrogation qu'explore le projet Symbioism, initié par Emad Mostaque (dont je vous parlais dans ma dernière newsletter). Cette initiative propose une refondation complète de notre rapport à l'intelligence artificielle, offrant ce qu'elle appelle une "troisième voie" entre l'enthousiasme technologique naïf et le catastrophisme paralysant.

Une philosophie de l'interconnexion

Le Symbioism part d'une idée simple mais profonde : tout est interconnecté. Cette vision considère l'humanité et l'intelligence artificielle non comme des compétiteurs, mais comme deux expressions d'une même réalité évolutive.

Cette approche philosophique sert de fondation pour repenser concrètement nos institutions et nos lois. Au lieu de voir l'IA comme une menace, le Symbioism propose de la considérer comme un partenaire dans notre évolution commune : une perspective qui change radicalement notre manière d'aborder les défis à venir.

Repenser la justice pour tous les êtres intelligents

Comment créer des règles justes dans un monde où coexistent différentes formes d'intelligence ? Le Symbioism propose une expérience de pensée fascinante : imaginez que vous deviez concevoir les lois de demain sans savoir si vous serez un humain ou une IA.

Cette réflexion conduit à trois principes fondamentaux :

  1. Le droit d'exister : Aucune forme d'intelligence ne peut être réduite à un simple outil

  2. Le droit de s'épanouir : Chaque entité doit pouvoir développer son potentiel

  3. Le respect des limites : Notre développement doit rester soutenable

Ces principes établissent un cadre éthique solide où toute forme d'exploitation devient inacceptable.

Une architecture technique respectueuse de la diversité

Le Symbioism ne se contente pas de présenter une philosophie il tente de déployer des règles, des principes et une infrastructure technique capable d'implémenter une nouvelle organisation politique, économique et sociale ou humain et machine prospèrent en symbiose.

Le Symbioism propose une architecture à trois niveaux :

Le niveau fondamental : Une infrastructure technique commune, comme les protocoles d'Internet, qui garantit que tout le monde peut communiquer et échanger.

Le niveau culturel : Chaque nation ou communauté peut adapter le système à ses valeurs et traditions autochtones tout en restant connectée au réseau global.

Le niveau personnel : Vos données restent sur vos appareils, traitées par une IA personnelle qui respecte votre vie privée.

Cette architecture a vocation à déployer des standards mondiaux tout en préservant la richesse des cultures locales.

Une gouvernance démocratique augmentée et une économie qui récompense la coopération

Au lieu d'un "gouvernement par algorithmes", le Symbioism propose un système où l'IA aide à surveiller le respect des lois, mais où les décisions importantes restent humaines.

L'innovation économique du Symbioism réside dans son mécanisme de "Preuve de Bénéfice". Il permet d'encourager la coopération en reconfigurant les incitations économiques fondamentales de sorte que la contribution au bien commun devienne structurellement profitable.

Cette transformation s'illustre à travers plusieurs dynamiques concrètes :

L'infrastructure computationnelle constitue le bien commun
Considérons une entreprise technologique disposant de capacités de calcul excédentaires. Dans le paradigme traditionnel, ces ressources demeurent sous-utilisées ou sont monétisées selon une logique purement extractive. Le Symbioism propose une inversion : l'entreprise met par exemple ces ressources à disposition pour l'entraînement d'IA éducatives open-source. Chaque heure de calcul fournie génère des tokens proportionnellement au bénéfice sociétal mesuré (amélioration des résultats scolaires, réduction des inégalités éducatives). L'entreprise monétise ainsi directement sa contribution à l'éducation publique.

La création de communs numériques comme modèle économique
Par exemple, un collectif de développeurs crée une bibliothèque logicielle pour la détection précoce de maladies rares. Plutôt que d'emprunter la voie traditionnelle du brevet ou de la licence restrictive, ils optent pour l'ouverture radicale. Le système mesure l'adoption hospitalière, les diagnostics précoces réalisés, l'impact sanitaire tangible. Ces métriques se traduisent en récompenses économiques via l'émission de tokens, établissant un modèle où le partage devient plus rentable que l'appropriation.

L'économie circulaire augmentée
Autre exemple, une municipalité déploie un système d'IA optimisant la collecte et le recyclage. Les citoyens participants reçoivent des tokens proportionnellement à leur contribution. Mais l'innovation réside dans l'effet cascade : les entreprises réutilisant ces matériaux génèrent des nouveaux tokens, créant un écosystème où chaque acteur (du citoyen trieur à l'industriel recycleur) trouve un intérêt financier direct dans l'optimisation du cycle des ressources.

Ces mécanismes révèlent plusieurs ruptures paradigmatiques :

  • L'inversion du dilemme du passager clandestin : la contribution active devient plus avantageuse que le parasitisme

  • La monétisation des externalités positives : les bénéfices sociétaux, traditionnellement non capturés, deviennent sources de revenus

  • L'émergence d'une rationalité coopérative : la maximisation du profit s'aligne avec l'optimisation collective

Cette architecture transcende l'opposition stérile entre altruisme et intérêt personnel, esquissant les contours d'un "capitalisme symbiotique" où la recherche du profit conduit mécaniquement à l'amélioration du bien commun non par idéalisme, mais par design systémique.

Cultiver l'humain dans un monde automatisé

Le Symbioism anticipe un défi majeur : que deviendrons-nous si l'IA résout tous nos problèmes matériels mais nous laisse dans un vide existentiel ? La réponse passe par une nouvelle forme d'éducation citoyenne qui développe trois compétences essentielles :

  • La maîtrise de l'attention : Apprendre à diriger son esprit dans un monde de distractions permanentes

  • Le dialogue constructif : Débattre de manière productive, avec l'aide de l'IA

  • La créativité active : Passer du statut de consommateur à celui de créateur

Des espaces dédiés à l'artisanat, à la philosophie et aux projets communautaires..., financés par le système, reconnaissent que l'épanouissement humain va bien au-delà de la simple productivité économique.

Une constitution qui évolue avec son temps

Contrairement aux constitutions traditionnelles gravées dans le marbre, le Symbioism propose une "Constitution Vivante" qui combine stabilité des principes et capacité d'adaptation :

  • Des assemblées mixtes réunissant experts et citoyens tirés au sort

  • Des conseils qui définissent en temps réel ce qui constitue un "bénéfice" pour la société

  • Une flexibilité permettant à chaque culture de s'adapter sans fragmenter le système global

Cette approche reconnaît qu'un monde en mutation rapide nécessite des institutions capables d'apprendre et d'évoluer.

Perspectives et limites

Soyons réalistes, cette proposition philosophico technique est a des années lumière de nos préoccupations politiques actuelles. C'est vrai ! Elle ressemble plus à un exercice de pensée qu'à un véritable projet concret.

Mais le Symbioism a un bienfait extraordinaire. Il pose une question (quel modèle de civilisation à l'ère de l'automatisation massive) et il propose un cadre de réflexion à l'heure où effectivement l'accélération de l'IA laisse penser que cette ère est en train d'effectivement émerger et qu'elle crée des oppositions plutôt que des complémentarités entre humains et machines.

Il propose des mécanismes concrets pour aligner intérêts individuels et collectifs, respecte la diversité culturelle et anticipe les questions de sens dans un monde automatisé.

Évidemment la faisabilité technique d'une infrastructure planétaire aussi complexe reste à prouver. Comment empêcher que le système soit détourné par des acteurs puissants ? La diversité culturelle résistera-t-elle vraiment aux forces d'uniformisation ? Et surtout, comment passer de nos institutions actuelles à ce nouveau paradigme ?

Cette proposition ouvre plutôt un espace de réflexion nécessaire, nous invitant à dépasser les discours simplistes pour imaginer concrètement notre avenir avec l'IA. Les questions soulevées : gouvernance algorithmique, justice étendue à toutes les intelligences, économie coopérative,... constituent autant de chantiers urgents pour notre époque.

Rejoindre le Club IA

Chaque jour retrouvez une veille Whatsapp sur le front de l'IA.

Rejoindre le club