Tenir un robot dans ses bras...

Je vous écris depuis la capitale japonaise. En effet, j’ai entamé avant-hier un long voyage à travers cinq villes d’Asie, Tokyo, Séoul, Hong Kong, Shenzhen et Singapour, pour explorer les innovations qui, d’ici cinq ans, pourraient redéfinir notre quotidien. Premier constat : la robotique domestique s’impose comme un signal fort.

Hier, dans un grand magasin de Shinjuku, une scène m’a bouleversé. En descendant d’un escalator, un espace attire mon regard : le Robot Studio. L’endroit évoque un salon d’appartement, avec des fauteuils, une estrade, et une dizaine de petits robots vêtus de t-shirts et de pulls. Le public s’assoit, curieux, une personne demande si elle peut en prendre un dans ses bras. L’hôtesse sourit, acquiesce. Enfants et adultes, hommes et femmes, serrent leur LOVOT, le “robot amour”, contre eux, le bercent, lui parlent. Une vraie tendresse, sincère, désarmante, semble les animer.

L’ambiance était paisible. Les visiteurs tenaient les LOVOT avec une douceur naturelle, comme on prend un chat endormi sur ses genoux. Rien d’extraordinaire, et pourtant quelque chose de profondément apaisant. Ce jeune homme par exemple a tenu ce LOVOT pendant plus d’un quart d’heure. J’ai masqué son visage par respect, mais je vous promets que son regard était rempli de tendresse…

Je m’approche, je tends les bras. Le LOVOT me regarde avec ses grands yeux. Ses capteurs perçoivent l’environnement, et soudain, la projection opère. On prête à la machine une intention, une émotion. Techniquement, rien de révolutionnaire. Le LOVOT est un vieux produit. Il date de 2018. Il est doté de capteurs qui lui permettent de cartographier son environnement, reconnaitre son propriétaire, retourner seul à sa base quand la batterie faiblit. Dans sa corne se cachent une caméra hémisphérique, un micro directionnel, des capteurs thermiques et de luminosité.

Le plus troublant, c’est l’émotion qu’il semble provoquer par sa forme. Son corps est tiède, moelleux, presque vivant. Une chaleur diffuse pour mimer le vivant, et appeler au contact. Ses yeux, deux petits écrans, sont très expressifs. Ce n’est pas un hasard. On sait que le regard et le toucher stimulent l’ocytocine et apaisent le cortisol. Ces robots cherchent à reproduire, chimiquement, le lien de l’attachement. Et ils y parviennent. Le modèle économique, lui aussi, repose sur la relation. Avec un prix de 3 700 euros et des mensualités d’environ 60 euros sur cinq ans, le LOVOT s’installe durablement dans le quotidien. À ce prix, difficile de le laisser dormir dans un tiroir. Autour de la scène, des rayons de vêtements et d’accessoires prolongent le lien : on l’habille, on le soigne, on en prend soin… on l’aime ? En un mot, avec LOVOT, on ne consomme pas un robot, on nourrit une relation. Le marché est mature. Il s’en loue des dizaines chaque jour dans ce concept store.

Avec le recul, je pense que cette scène préfigure peut-être ce qui nous attend. Plusieurs fictions l’avaient déjà pressenti : Her, Black Mirror, After Yang… Nous avons, en Occident, des différences culturelles profondes avec les pays d’Asie, qui freinent l’adoption des robots émotionnels. Ces écarts résident au plus intime de nos histoires et de nos croyances.

Au Japon, la frontière entre vivant et inanimé semble plus poreuse : un robot peut inspirer la tendresse sans provoquer de malaise. Dans la sensibilité shinto, les objets ne sont pas inertes : ils peuvent être traversés par une forme de présence. Ce regard spirituel sur la matière crée une familiarité naturelle avec les robots, sans les craindre ni les idolâtrer. En Europe, notre héritage spirituel nous pousse à redouter cette confusion.

Mais ne nous y trompons pas : le signal de l’adoption est déjà là, chez nous aussi. Le marché des AI companions pèse plusieurs dizaines de milliards de dollars par an, et croît de 30 % chaque année. Replika, Character.AI et d’autres avatars conversationnels comptent chacun près de 30 millions d’utilisateurs. ChatGPT lui-même devient, pour beaucoup, un confident, un coach, un thérapeute, parfois même un ami. Plus de 70 % des adolescents américains ont déjà interagi avec un bot compagnon, souvent de manière régulière.

Nous aussi, allons-nous naître, grandir, vivre, aimer et mourir avec des robots ? Je n’ai pas acheté, ni “loué” de LOVOT, mais j’ai compris quelque chose d’essentiel : les batailles de l’IA et de la robotique ne se joueront pas seulement sur la puissance de calcul. Elles se joueront aussi sur la capacité à émouvoir. Sur la tendresse simulée. Sur le lien relationnel créé qu’il soit amical, parental ou amoureux...

Et ce n’était que le premier jour de ce voyage asiatique. Il m’a laissé une impression de douceur mélancolique. J’ai tout de même eu le sentiment d’avoir entrevu un futur où la technologie semble aussi essayer de nous comprendre et de nous apaiser.

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