La Chine est elle en train de gagner ?
Chaque année à cette période, je ressors mon carnet pour préparer ma note de prospective pour les douze prochains mois et j’écris cette phrase devenue presque comique tant elle revient systématiquement : "L'année du basculement !" Quinze ans que j'écris sur ces sujets, quinze ans que je tombe dans le même piège. On surestime toujours les transformations à court terme...
Alors non, 2026 ne sera pas l'année du basculement. La bascule a déjà probablement eu lieu. Nous vivons une accélération. Elle est poussée par trois conflits profonds qui convergent vers un même résultat : la guerre technologique, la bataille géopolitique et une lutte idéologique.
Permettez-moi de les explorer avec vous.
Exemple parlant du chinois Kimi qui parvient à surperformer ChatGPT 5 et Claude malgré les restrictions sur les puces US.
La bataille géopolitique
Je rentre d’Asie et j’ai été frappé par la puissance du soft power chinois. Comme je le disais dans ma dernière chronique, l’épicentre de l’innovation et du progrès technologique est à Schenzen et se diffuse dans toute l’Asie et au-delà. De plus, quelquechose est en train de changer dans l'opinion mondiale. Elle est en train de basculer. En Afrique et au Moyen-Orient, plus de la moitié des personnes interrogées choisissent désormais la Chine comme modèle. Même aux États-Unis, le soutien au leadership chinois a doublé (certes, pour atteindre un modeste 6%, mais la tendance est là). Le soft power chinois explose. Labubu et ses poupées qui ont fait bondir de 400% l'action de Pop Mart cette année, Mixue et ses boissons fraîches qui colonisent l'Asie du Sud-Est puis l'Amérique, "Black Myth: Wukong" devenu phénomène mondial. La culture populaire chinoise s'exporte, s'impose, séduit. Pendant ce temps, la guerre commerciale américaine produit des effets pervers. Les droits de douane effectifs ? À peine 10%, bien inférieurs aux prévisions. L'imposition de tarifs punitifs à l'Inde et au Brésil les rapproche de Pékin. Même en Europe les patrons s’interrogent sur l’opportunité d’un rééquilibrage Est-ouest. Et non l'économie chinoise ne s'effondre pas, elle ralentit (la démographie est en crise, comme l’immobilier, et la dette locale). Enfin sur le plan technologique, Pekin est en train de gagner des points. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Jensen Huang, le patron d’NVIDIA qui prédit la victoire chinoise dans la bataille sur l’IA. La Chine apparaît donc pour le moment comme plutôt gagnante de la révolution lancée par Trump. Est-ce que cela va se confirmer ?
Photo prise la semaine passée dans le lab R&D de EngineAI à Schenzen
La lutte idéologique
Les élections de mi-mandat américaines vont déterminer si les Américains valident cette stratégie, protectionniste, radicale et autoritaire. Les démocrates croient en leurs chances, galvanisés par la victoire de Mamdani à New York. Mais Mamdani, antithèse trumpienne, tout aussi dangereux, incarnation d’un robespierrisme américain, reste un épiphénomène local. Dans l’électorat new-yorkais, les électeurs représentatifs de la majorité de la population américaine, n’ont pas voté pour lui. Par conséquent, il est fort probable que Trump conserve sa majorité aux deux chambres en novembre 2026.
En réalité le mouvement est là bien ancré aux USA. Et il s’exporte. En effet, le phénomène MAGA s’étend en Europe. En Grande-Bretagne, Reform UK de Nigel Farage caracole en tête des sondages. En France, un nouvel effondrement du gouvernement dans les mois qui viennent pourrait mener Bardella et la droite extrême à Matignon. En Allemagne, le rempart contre l'AfD vacille…
Vous voyez où je veux en venir, derrière la montée en puissance du mouvement MAGA, il y a un modèle : le pouvoir centralisé entre les mains de l'État et des géants de la tech, des entreprises technologiques dociles contrôlant l'information, une volonté collective de sacrifier la liberté au profit d'une vie plus sécurisée, plus confortable. C’est paradoxalement l’adaptation du modèle chinois à l’occident. Cela ne fait qu’un an que Trump est revenu au pouvoir. Et depuis son retour une question me hante. Je l’avais exprimée dans un article en février dernier : « Vivons-nous un 1989 à l'envers ? ». Trump est en train de devenir le fossoyeur involontaire de l'empire qu'il prétend restaurer.
La tentation de lire 2026 comme la confirmation d’une bascule reste forte, mais l’Histoire a démontré à maintes reprises que les trajectoires se fragmentent, bifurquent, ralentissent ou s’accélèrent sans prévenir. La surprise est un espoir.
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