Quelle stratégie pour ré-industrialiser la France ?
L’économie de guerre est sur toutes les lèvres. Mais derrière la formule, une réalité s’impose et une triple urgence aussi : réindustrialiser le pays, recréer du lien social, et produire dans les limites planétaires.
Cette semaine dans TED en Français, j’ai eu le plaisir de recevoir Navi Radjou. Prospectiviste, consultant, essayiste, il est surtout l’un des penseurs les plus lucides sur ce que pourrait être une renaissance industrielle éclairée…
Dans son ouvrage L’Économie frugale, il propose un nouveau modèle d'industrialisation.
Frugalité industrielle : relocalisation, résilience et IA
Selon lui les lignes bougent. Sous la pression des crises géopolitiques, de la volatilité des tarifs douaniers à la fragilité des chaînes d’approvisionnement, les décideurs français sont en train d’opérer une bascule. À l’horizon 2030, il imagine une industrie nationale à nouveau debout : plus frugale, plus locale, et portée par l’IA.
Et les chiffres vont dans son sens.
C’est le protectionnisme américain qui, paradoxalement, a donné le “la” : sous l’impulsion des plans “Buy American”, Washington relance une reindustrialisation massive.
En 2025, 94 % des dirigeants industriels déclarent que l’incertitude tarifaire gèle leurs investissements. Le secteur passe en mode survie. La logique change : on quitte la mondialisation low-cost pour une régionalisation à haute valeur résiliente.
Fini les usines XXL à l’autre bout du globe. On préfère rénover l’existant, miser sur des partenaires locaux, et limiter les coûts d’infrastructure. Capex léger, ancrage solide. Le local redevient fiable. Trois quarts des industriels misent sur des produits conçus pour leurs marchés régionaux. La réalité semble aller dans ce sens. Des micro-usines capables de produire à la demande poussent déjà sur notre sol.
En parallèle, la transformation numérique et l’adoption de l’IA prend une dimension stratégique. Jumeaux numériques, planification dynamique, maintenance prédictive : l’IA devient le moteur silencieux de la résilience industrielle.
La revanche des micro-usines
On a longtemps cru que la modernité passait par la démesure. Aujourd’hui, le petit, agile et local regagne en puissance.
Plutôt que de bâtir des mastodontes industriels “à l’ancienne”, la France pourrait d’après Navi, miser sur une réindustrialisation distribuée. Un maillage de micro-usines implantées en région, agiles, connectées, et ultra-spécialisées. Une industrie pensée comme un réseau.
Ce modèle, il le décrit avec précision. À La Rochelle, la start-up Avatar Mobility assemble des véhicules électriques dans un atelier de la taille d’un garage. Shark Robotics, qui était sur scène à TEDxParis Summit il ya dix jours, procède de la même manière et fabrique des robots-pompiers.
Ces micro-factories génèrent de la valeur là où tout semblait à l’arrêt. Elles relancent des bassins d’emploi, revitalisent des écosystèmes dormants. Et surtout, elles apportent ce que les chaînes mondialisées ont perdu : la flexibilité.
Écologiquement aussi, le changement est radical : fini les produits qui font le tour du monde avant d’atterrir en rayon. On produit au plus près, avec les ressources disponibles, pour les besoins locaux. C’est l’informatique distribuée appliquée à l’industrie…
En 2030, ce maillage ouvre la voie à une économie collaborative entre entreprises : mutualisation des entrepôts, échanges de main-d’œuvre, partage de savoir-faire. Le territoire devient une plateforme. La micro usine, un nœud du réseau.
L’IA, chef d’orchestre de l’industrie de demain
Reste une question : qui pilote ce réseau ? L’IA, si elle est bien pensée, peut en devenir la colonne vertébrale adaptative.
Entre 2025 et 2030, les industriels adopteront les agents IA dont je vous parle depuis plusieurs mois déjà.
Des systèmes capables de détecter, analyser et réagir en temps réel à la moindre friction.
En 2030, l’usine sera un organisme vivant. Anticipation des pannes, ajustement dynamique des stocks, réaffectation intelligente des ressources : l’IA permettra d’apprendre et de s’adapter en continu.
C’est exactement le modèle que je dessinais quand je vous parlais de cette fédération des solopreneurs augmentés qui peupleront nos organisations dans les prochaines années. Une armée de micro-structures, autonomes mais coordonnées, agiles mais robustes.